L’administration doit-elle règlementer sa communication sur internet ?

Face à la multiplication des modes de communication électronique et à la dématérialisation de l’action administrative, il apparaît nécessaire, dans une optique de visibilité et de sécurité juridique, que l’administration envisage de règlementer l’information de ses usagers via les internet ou les intranet, afin que seules soient opposables les règles dont les modalités de communication ont été discutées et votées de manière collective en assemblée délibérante ou que ces dernières délèguent cette compétence à leur exécutif.

La communication dématérialisée des informations entre l’administration et les usagers fait l’objet d’un encadrement juridique depuis l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives.

Cette ordonnance se limite néanmoins à règlementer la gestion de l’information dans un but de protection des données personnelles et ne s’intéresse pas aux conditions d’opposabilité de l’information à destination des usagers.

Aucun autre texte ni aucune autre décision de jurisprudence n’apparaissent par ailleurs apporter un éclairage complet sur cette question.

Il est opportun de s’interroger sur la régulation juridique de l’encadrement des modalités de communication dématérialisée entre administration et usagers.

A) Un encadrement existant entre l’administration et son personnel

Le juge administratif considère d’ores et déjà que l’information touchant la situation des personnels de l’administration doit être encadrée et réglementée pour être opposable, et notamment lorsqu’elle est communiquée via des plates-formes informatisées.

Ainsi, dans un arrêt du 18 octobre 2016 (N°14BX01089), la Cour administrative d’appel de Bordeaux a pu considérer que : « Si aucune règle ou principe général ne s’oppose à ce que la publication d’un acte intéressant les personnels prenne la forme d’une diffusion sur l’intranet de l’administration à laquelle ils appartiennent, cet acte n’est opposable qu’à la condition, d’une part, que l’information ainsi diffusée puisse être regardée, compte tenu notamment de sa durée, comme suffisante et, d’autre part, que le mode de publicité par voie électronique et les effets juridiques qui lui sont attachés aient été précisés par un acte réglementaire ayant lui-même été régulièrement publié. ».

Est ainsi posée une double condition à l’opposabilité de la communication d’actes via intranet :

– Une diffusion d’une durée suffisante.

– L’existence d’un acte règlementaire régulièrement publié précisant le mode de publicité et les effets juridiques qui y sont attachés.

Il ne s’agit pas d’une solution isolée : le Conseil d’Etat, dans deux arrêts du 11 janvier 2006 et du 25 octobre 2006 (N°273665 et N°277498), a estimé que la publicité d’une décision via sa mise en ligne sur l’intranet d’un établissement public : « n’est susceptible de faire courir le délai de recours contentieux à l’égard des intéressés (…) qu’à la condition, d’une part, que l’information ainsi diffusée puisse être regardée, compte tenu notamment de sa durée, comme suffisante et, d’autre part, que le mode de publicité par voie électronique et les effets juridiques qui lui sont attachés aient été précisés par un acte réglementaire ayant lui même été régulièrement publié ».

On peut aisément en déduire qu’en l’absence de réalisation de ces formalités, le non-déclenchement du délai de recours est dû au fait que l’acte n’est pas opposable, d’autant que ses effets juridiques n’ont pas été précisés par un acte réglementaire.

Des juridictions autres qu’administratives ont par ailleurs déjà réfuté toute valeur juridique à des informations publiées sur une telle plate-forme :

La Cour d’appel d’Amiens, le 2 Juin 2015, a simplement considérée que les informations contenues sur le site intranet de la SNCF n’avaient pas de valeur juridique (N°RG 13/03174).

Le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes, le 19 mars 2010, a validé une décision du Tribunal de la Fonction Publique des Communautés Européennes estimant que la circonstance qu’un projet du guide au personnel aurait été publié sur l’intranet de l’ETF et que son contenu aurait en pratique été appliqué par l’administration « ne permet pas d’établir qu’il constitue un acte de nature contraignante » (Irène Bianchi c/ ETF, T-338/07, points 39 et 94).

Il apparaît ainsi certain qu’une simple communication via une plateforme intranet entre l’administration et ses personnels ne saurait être opposable à ces derniers. Pour lui donner valeur juridique, elle est dans l’obligation d’émettre un acte réglementaire en ce sens et de la diffuser sur une durée suffisante.

B) Un encadrement nécessaire entre l’administration et l’usager

Dès lors que le juge administratif impose à l’administration de réglementer ses communications informatisées avec son personnel, il apparaîtrait opportun qu’il étende cet encadrement aux communications avec ses usagers, d’autant que les bénéfices à en tirer sont les mêmes que ceux de la réglementation des communications avec le personnel.

D’une part, un tel encadrement serait source de sécurité juridique pour l’administration : la systématisation de la réglementation des communications administration-usager mettrait fin à l’incertitude quant à sa valeur juridique et à son opposabilité à ses destinataires. Le risque contentieux serait moindre qu’avec l’incertitude actuelle.

D’autre part, la règlementation des modalités de cette communication permettrait une information certaine, fiable, transparente et aisément consultable pour l’usager. Il ne pourrait plus contester l’opposabilité d’une information dont le mode de communication aurait été réglementé, mais pourrait s’en prévaloir si elle lui est favorable.

Il s’agirait au fond uniquement de traiter l’information opposable et impérative comme ce qu’elle est, un acte administratif : tout acte issu de l’administration et ayant des conséquences juridiques devrait être traité comme tel, et donc soumis, sur le modèle de l’acte administratif, à des conditions de forme (délibération de l’organe compétent, publication…).

Tout du moins, tout mode de communication (plate-forme numérisée, bulletin papier ou en ligne…) support d’informations se voulant opposables devrait être désigné comme tel par un acte administratif pris dans les formes.

Cette solution se placerait dans la continuité de la jurisprudence du Conseil d’Etat, lequel tend désormais à traiter les écrits issus de l’action administrative comme de véritables actes administratifs opposables, comme en témoigne l’admission récente des recours contre les actes de droit souple, règles de droit pourtant non obligatoires (Conseil d’Etat, 21 mars 2016, N° 368082 et N°390023, Fairvesta et Société NC Numéricable).

Plus que concevable, il apparaît dès lors nécessaire que soient transposées aux relations administrations-usagers les solutions que le juge administratif retient déjà pour les modes de communication entre les administrations et leurs agents.

Florent Verdier

Avocat au Barreau de Bordeaux

Arnaud Worbe

Juriste – M2 Contentieux publics à l’université de Bordeaux

Retour en haut