(Le Monde) – La sélection à l’université sanctionnée par la justice

(Le Monde) - La sélection à l’université sanctionnée par la justice

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Le système de sélection de fait au sein des masters universitaires menace d’exploser. Le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, Thierry Mandon, est sommé par les syndicats étudiants et les présidents d’université, divisés sur la question, de clarifier la situation. De plus en plus de recours sont intentés – et gagnés – par des étudiants ayant réussi leur première année de master mais que leur université refuse d’inscrire en seconde année, celle de la spécialisation et de l’obtention du diplôme.

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FABRICE MONTIGNIER

Dans certaines filières et certains établissements, l’harmonisation du master (bac + 5) sur les normes européennes depuis 2006 n’a été faite qu’en façade : entre la première année (M1) et la seconde (M2), les cartes sont totalement rebattues. Il n’y existe aucune garantie de pouvoir poursuivre ses études dans le même établissement. La sélection qui existait auparavant à l’issue de la maîtrise (bac + 4) persiste dans les faits. Un processus juridiquement fragile.

Des jugements rendus le 21 août par le tribunal administratif de Bordeaux, le 19 août par celui de Grenoble et le 31 juillet par le tribunal administratif de Nantes ont suspendu en référé les refus d’inscriptions opposés à des étudiants. « Je gagne à tous les coups », sourit Me Florent Verdier, avocat au barreau de Draguignan, qui s’est fait une spécialité de la question et fait un véritable tour de France des tribunaux administratifs. Jeudi 20 août, il plaidait à Besançon. Vendredi 21 août il était à Paris, pour contester le refus d’inscription d’une étudiante en mathématiques qui a validé son année de M1 à l’université Paris-Diderot et souhaite y rester pour obtenir un master spécialisé dans les statistiques et modèles aléatoires en finance : « Le master est un cycle en quatre semestres, pas en deux années. Ce sont les mêmes professeurs qui ont enseigné en M1 qui formeront cette étudiante en M2 », a-t-il plaidé.

« C’est au ministère de régler le problème »

Si les recours se multiplient, c’est qu’« il n’existe aucune base légale pour refuser la poursuite en master 2 à un étudiant qui a validé son master 1 », souligne Me Verdier. L’article L 612-6 du code de l’éducation stipule que « l’admission dans les formations du deuxième cycle est ouverte à tous les titulaires de diplômes de premier cycle ». La possibilité d’y déroger est renvoyée à un décret… qui n’a jamais été pris. De plus, un arrêté ministériel du 22 janvier 2014 confirme l’unicité du cycle de master organisé en quatre semestres et non sur deux années distinctes.

Ce sujet brûlant devait figurer au menu de la visite du secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, Thierry Mandon, à l’université d’été de la Conférence des présidents d’université (CPU), mardi 25 août, à Paris : « On avait prévenu le ministère et ils ne nous ont pas écoutés », tempête Jean-Loup Salzmann, président de la CPU, qui demandait la validation réglementaire des procédures de sélection de fait dans certains établissements. « Il fallait publier des textes qui permettent à l’université d’être en sécurité juridique. Ce n’est pas au juge de régler le problème, c’est au ministère. Et ce n’est pas parce qu’on est admis dans un cursus donné qu’on y réussit », avance-t-il.

Au cabinet de M. Mandon, on souhaite « dépassionner » le débat : « Il faut relativiser le problème, il se situe principalement en droit, où une large mobilité est organisée en M2, de manière forcée pour certains étudiants, fait savoir un conseiller. Quand il y a un M2 compatible au sein du même établissement, on pourrait instaurer une priorité à y rester. » C’est ce type de réponse qu’espère William Martinet, président du syndicat étudiant UNEF : « Il faut donner la responsabilité à tout établissement qui délivre un M1 de trouver une place en M2. Les étudiants qui valident un master 1 ne comprennent pas qu il n’y ait pas de place pour eux en master 2 dans leur établissement. » Il souligne que les examens passés par les étudiants dans le cadre de leur cursus sont suffisants en matière de sélection.

Risque de sélection précoce

M. Martinet redoute que les universités ne profitent de ces recours pour pousser à une sélection plus précoce et plus forte : dès après la licence, lors de l’entrée en master. Or, jusqu’à présent, le nombre de places est assez équivalent en M1 (130 000) et en M2 (120 000). La baisse des effectifs de M2 s’explique notamment par le fait que certaines filières juridiques, comme le notariat, recrutent au niveau M1, de même que les concours de l’enseignement – où, pendant la deuxième année du master, les admis sont fonctionnaires stagiaires en alternance.

Le problème de l’inscription en M2 est connu depuis une première décision rendue par le tribunal administratif de Bordeaux le 5 décembre 2013. Le Comité de suivi du master – organisme consultatif qui associe le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche et des représentants des universités et des secteurs de formation – a ainsi planché sur la question… sans parvenir à un consensus.

Le Snesup et l’UNEF n’ont pas validé l’avis qu’il a rendu sur le sujet en mai. Celui-ci rappelait certes le droit de tout étudiant titulaire d’une licence à s’inscrire en master. Mais il préconisait que soit adopté un décret précisant la « liste limitative des formations dans lesquelles cette admission peut dépendre des capacités d’accueil des établissements, et éventuellement être subordonnée au succès d’un concours ou à l’examen du dossier ».

Portail d’admission post-licence

Pour autant, le syndicat étudiant FAGE souhaite une réforme clarifiant le master et réunifiant M1 et M2. Son président, Alexandre Leroy, souligne que « le Comité de suivi du master a fait un travail très important. C’est un outil pour l’orientation et cela donne toute latitude pour définir son projet professionnel ». Il suggère donc de créer un portail d’admission post-licence, sur le modèle d’admission post-bac (APB), afin que chaque étudiant ait accès à l’un des masters de son choix compatible avec sa licence. « Un consensus est en train de se former avec les enseignants et on peut l’atteindre avec la CPU », suggère-t-il.

M. Salzmann, à titre personnel, indique qu’il y serait favorable : « Il faut permettre une sélection pour un certain nombre de parcours à capacité d’accueil limitée afin d’assurer la réussite et l’insertion des diplômés. Mais on peut proposer à chacun une place en master », souligne-t-il. Entre orientation forcée et sélection de fait, ce dispositif est pour l’instant rejeté par l’UNEF. Une telle réforme, si elle était décidée, semble en tous les cas peu réalisable avant la rentrée 2017, année présidentielle.

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