Le juge administratif et les films d’horreur : le régime des interdictions aux mineurs par le visa d’exploitation cinématographique

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Abstract. Le Conseil d’État précise les critères devant guider le choix du ministre chargé de la culture entre les différents visas d’exploitation prévus à l’article R. 211-12 du code du cinéma et de l’image animée. En présence de scènes violentes, il appartient au juge de rechercher s’il existe des scènes de très grande violence impliquant l’interdiction du film aux mineurs au titre du 4° ou du 5° de cet article puis, dans l’affirmative, en tenant compte de la manière dont ces scènes sont filmées, de s’interroger sur le choix à opérer entre la mesure prévue au 4° (interdiction aux mineurs) et 5° (classement en X). CE, 1er juin 2015, Association Promouvoir, n° 372057.

Lorsqu’en 2006 le réalisateur Darren Lynn Bousman met en scène le troisième volet de la saga des films d’horreurs « SAW », il ne s’imaginait vraisemblablement pas que près de 10 ans plus tard son film serait visionné dans les murs du Palais Royal par la plus haute juridiction administrative française. Pourtant, c’est bien le film « SAW III » que le Conseil d’Etat a dû visionner pour rendre sa décision n° 372057 en date du 1er juin 2015 « Association Promouvoir ». Par sa décision, le Conseil d’Etat confirme que le ministre de la Culture d’époque, Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres, pouvait suivre l’avis de la « commission de classification des œuvres cinématographiques » qui avait recommandé d’interdire le film en France aux moins de 18 ans en raison de ses scènes de hautes violences. Or, l’interdiction aux moins de 18 ans est quasiment réservée aux films « classés » X en vertu de l’article L. 311-2 du code du cinéma et de l’image animée. Interdire un film violent aux mineurs, hors contexte pornographique, est une décision rare. Ce ne sont que quelques films « non X », dont le plus illustre « Baise-moi » de la géniale Virgine Despentes qui ont été interdits au moins de 18 ans, bien que le motif des scènes sexuelles soient le motif de l’interdiction aux mineurs. Mais outre les faits d’espèce et le film d’horreur en question, la décision du Conseil d’Etat est intéressante puisqu’elle nous propose une « façon » de visionner un film pour en déterminer le contenu visible ou interdit aux mineurs.

La procédure de délivrance du visa d’exploitation cinématographique A l’origine de la problématique, l’article L. 211-1 du code du cinéma et de l’image animée prévoit qu’avant diffusion, tout film doit être subordonné à l’obtention d’un visa d’exploitation délivré par le ministre chargé de la culture au titre d’un pouvoir de police spéciale qu’il détient après avis de la commission de classification des œuvres cinématographiques (R. 211-10 du même code). En d’autres termes, l’article L. 211-1 du code du cinéma et de l’image animée confèrent au ministre chargé de la culture l’exercice d’une police spéciale fondée sur les nécessités de la protection de l’enfance et de la jeunesse et du respect de la dignité humaine, en vertu de laquelle il lui incombe en particulier de prévenir la commission de l’infraction réprimée par les dispositions de l’article 227-24 du code pénal (qui interdisent la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, d’un message à caractère violent ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur), soit en refusant de délivrer à une œuvre cinématographique un visa d’exploitation, soit en imposant à sa diffusion l’une des restrictions prévues à l’article R. 211-12 du code du cinéma et de l’image animée (restriction aux mineurs), qui lui paraît appropriée au regard tant des intérêts publics dont il doit assurer la préservation que du contenu particulier de cette œuvre. Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l’enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine. La décision du ministre chargé de la culture délivrant un visa assorti d’un avertissement ou comportant une interdiction particulière de représentation, ou refusant le visa, doit être motivée. Le Décret n°2014-794 du 9 juillet 2014 a modifié les modalités pratiques de cette procédure de visa et de mesures de protection.

Ce visa d’exploitation s’accompagne d’une classification en 5 catégories : 1o Autorisation de la représentation pour tous publics; 2o Interdiction de la représentation aux mineurs de douze ans; 3o Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans; 4o Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans si existent des scènes de très grande violence ou des scènes de sexe non simulées mais dont la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une qualification de film pornographique 5o Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription de l’œuvre sur la liste des films classés pornographiques. Si des scènes du film comportent une représentation de la violence de nature à heurter la sensibilité des mineurs, elles justifient ainsi une interdiction aux moins de 12, et en cas de présence de scènes de sexe, au moins de 16 ou 18 ans. La commission de classification des œuvres cinématographiques La commission de classification des œuvres cinématographiques comprend, outre le président et le président suppléant de la commission, vingt-sept membres titulaires et cinquante-quatre membres suppléants répartis en quatre collèges. Le collège des administrations comprend cinq membres titulaires et dix membres suppléants représentant respectivement le ministre de l’intérieur, le ministre de la justice, le ministre chargé de l’éducation nationale, le ministre chargé de la famille et le ministre chargé de la jeunesse. Le collège des professionnels comprend neuf membres titulaires et dix-huit membres suppléants parmi les personnalités de la profession cinématographique, après consultation des principales organisations ou associations de cette profession et de la critique cinématographique.

Le collège des experts comprend des membres issus du secteur de la famille, de la protection de l’enfance et de la jeunesse, de la santé, de l’audiovisuel, des associations familiales et de l’Association des maires de France Le collège du jeune public comprend quatre membres titulaires et huit membres suppléants, âgés de dix-huit à vingt-quatre an L’appréciation du Ministre sur le choix de la restriction du film Par son arrêt du 1er juin 2015, Association Promouvoir, n° 372057 le juge administratif a précisé les critères devant guider le choix du ministre chargé de la culture entre les différents visas d’exploitation. Après avoir visionné « SAW III », le Conseil d’Etat a jugé que lorsqu’un film comporte des scènes violentes, il y a lieu de prendre en considération, pour déterminer si la présence de ces scènes doit entraîner une interdiction aux mineurs de dix-huit ans : – la manière, plus ou moins réaliste, dont elles sont filmées, – l’effet qu’elles sont destinées à produire sur les spectateurs, notamment de nature à inciter à la violence ou à la banaliser, Enfin, – toute caractéristique permettant d’apprécier la mise à distance de la violence et d’en relativiser l’impact sur la jeunesse. Une œuvre cinématographique étant par définition une œuvre artistique la subjectivité des critiques se confronte alors aux critères objectifs définis par le Juge administratif.

Les sanctions de la méconnaissance du visa Enfin, un visa d’exploitation est une mesure de police administrative contraignante, le fait pour le distributeur du film de ne pas inclure l’avertissement et l’interdiction sur la bande du film est sanctionné d’une contravention de 450 euros. Les salles de cinéma qui autorisent des mineurs à voir le film qui leur est interdit sont punies d’une peine contraventionnelle de 1500 euros. Les adultes qui accompagnent des mineurs voir les films qui leur sont interdits sont punis de 750 euros et 1500 euros en cas de fausse attestation sur l’âge du mineur (Art. R. 432-1 à Art. R. 432-4 Code du cinéma et de l’image animée).

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